En recherchant le nom de mon sujet du jour (mois/trimestre), force est de constater que l’homme est relativement intimiste. Intimiste est utilisé ici comme une version diplomate de non renseigné, quasi anonyme : aucune critique Pitchfork, aucun portrait FADER. Pour celui qui a fait toute sa carrière à partir d’internet, a suivi le chemin relativement classique de la page soundcloud à la video qui devient virale, c’est plutôt étonnant de voir le silence qui entoure POLO PERKS < 3 < 3 < 3 pourtant auteur d’une carrière de bientôt près d’une décennie et membre de l’éminent collectif SURF GANG. 10 ans ça commence à faire. Patience est mère de toutes les vertus bien entendu et à force de patience et d’excellents projets, difficile de voir une autre issue que la reconnaissance, au moins critique pour le rappeur de Harlem. Peut être est-ce du à la proposition artistique : entre la typologie du nom, l’esthétique et les références au post punk, Polo Perks a de toute façon toujours décidé d’être différent. Difficile aussi de garder le rythme quand le jeune homme a enchainé au total un peu plus de 10 projets sur les 5 dernières années. On a atteint des sommets l’année passée avec les sorties successives de PUNK GOES DRILL, Harrison et i.c.f.m Pt 3, trois longs formats plus qu’ambitieux.
Notre camarade de jeu aime donc évoluer dans un relatif silence, pour preuve sa bio Spotify ou l’absence de lien avec tout autre réseau social qu’elle contient. Pourtant si on doit lui chercher des filiations, outre l’évidente galaxie du Surf Gang et ils sont légion à apparaitre dans les tracklists de ses nombreuses sorties, on peut se tourner vers son histoire. Quand vous êtes né en 1994 aux États Unis, il y a toutes les chances que vous ayez grandi avec MTV ou Fuse TV, à proportionner différemment si vous étiez plus dans le camp des skaters, ce qui est le cas de Perks. Il y a aussi toutes les chances que vous ayez été abreuvé de littéralement tout, dans une ère d’explosion des médias d’internet et de règne absolu de la télévision. À l’image de ses influences dont le spectre s’étend du punk/post punk comme l’indique le titre de son second album de 2021, à l’hyperpop parfois en passant par le cloud rap, plugg rap, l’héritage des sad boys et bien sur la drill. À quoi ressemble la vie d’un homme qui s’apparente à une alliance de tag bandcamp dont on n’est pas sure de la cohérence ? Au final juste à celle d’un préado vivant dans une grande ville dans les années 2000 aux USA : beaucoup d’internet, de copains et de weed.
Polo Perks connait ses premiers succès publics sur Soundcloud du jour au lendemain. Incrédulité et surprise pour notre rappeur en devenir. À l’origine de ce soudain succès un heureux hasard. Quelques jours après sa sortie de prison, en plein brainstorming avec ses amis sur les chemins à emprunter pour retourner sur l’itinéraire de base (la célébrité), un de ses amis leur parle d’une soirée à laquelle s’incruster. Une fête de white kids, comme il aime à les appeler, qu’il décide de filmer à l’aide de la caméra qu’il avait sur lui, un bon ethnologue qu’il est. Il upload le tout en un visuel qu’il cale sur un Remix du titre « Thunder Man » de Xavier Wulf qu’il intitule sobrement « Wulf ». Il s’avère que ces white kids deviennent rapidement viraux, lui attirant une certaine visibilité. Deux jours se passent et un compte soundcloud lui est créé : les chiffres s’envolent. Toujours chez les white kids décidément, son premier succès viendra avec le titre Trendy Shit qui atteint les 10k en 24h. Le titre des années après reste une des références de Perks. L’algorithme fait son travail et le fait atteindre les trend justement, la machine est lancée au moins à l’échelle du Connecticut. A l’époque nous sommes en 2015 et son appartenance à l’état américain mentionné commence tranquillement à le peser. Quelques années plus tard, 2018, il déménage donc à New York. Il fait la connaissance sur soundcloud d’un certain Young Alors aujourd’hui connu sous le nom de Evil Giane. Musicalement c’est le coup de foudre, Polo répète a chaque rare occasion d’interview l’admiration qu’il a pour le travail du producteur. Avec soundcloud comme terreau, Perks se retrouve exposé à une diversité de sonorités relativement avant gardistes qui caractérise à l’époque l’ébullition de la plateforme. Il fait par exemple la rencontre d’un autre membre du Surf Gang, Moh Barreta ou encore Babyxsosa qui rejoindra plus tard l’écurie grâce à Polo.
Si le rap reste la pierre angulaire des influences qui sont alors échangées entre les protagonistes, le background de skateur d’Evil Giane fait forcément intervenir un certain nombres d’acteurs du rock comme My Chemical Brothers ou encore Nirvana qui faisaient déjà partie des habitudes d’écoute de Polo. Notons au passage la confiance en soi qu’il faut pour pouvoir assumer aussi pleinement qu’il le fait une période d’une décennie d’écoute intensive et passionnée de Fall Out Boys. Autre anecdote cocasse, le titre Richgirl sur le premier volume de More To Life Than This est directement inspiré de Rich Girl de Hall & Oates, pas forcément la première formation à laquelle on pense à l’écoute de sa biographie actuelle et pourtant. Une heureuse rencontre rendue possible par son passage dans le Connecticut et ce qu’il implique d’influence des radios locales, largement dédiées à ces sonorités, bien puritaines, bien terroir made in USA. Sur le deuxième volume de More To Life Than This sorti donc en Novembre dernier, on retrouve encore cette influence notamment dans les guitares de Htmlrulezdude qui reprennent au surf rock pour leur faire croiser le rap de Perks, un morceau relativement représentatif de ce qui fait tout l’intérêt de l’artiste. Peak patriotisme : le morceau snowpatrol qui reprend le supertube « Chasing Cars » du groupe Snowpatrol (titre qui doit représenter à l’heure actuelle 30% des morceaux utilisés toutes saisons confondues de Grey’s Anatomy). Perks a grandi avec le rock et pour un homme noir, ce n’est pas toujours un catalogue de références facile à dévoiler et légitimer. Il raconte avec un certain amusement comment il s’est rendu compte que mine de rien, pour beaucoup d’auditeurs dans la même position, il avait permis une certaine « libération de la parole » pour les actuels amateurs de rap au passé de rocker.
Toujours est il qu’à côté de la curation de qualité des radios locales, quand il s’agit de se mettre au rap, son frère Polo fait la même chose qu’un jeune homme de n’importe quel état : il va sur youtube. Les beats de Tyler The Creator, Max B ou encore French Montana viennent servir d’instrumentale sur des sons enregistrés sur une livebox, good times indeed. 10 ans plus tard il y a parfois toujours le sentiment de débrouille qui émane de la musique de Polo Perks sauf que celui-ci cette fois est bel et bien choisi et recherché comme esthétique plutôt que nécessité. No Looking Back peut paraitre par exemple particulièrement chaotique tout comme Kesha. La voix qui résiste à presque toutes les transformations technologiques permet de conserver ce côté brut de sa musique, de première main comme on dit. On pourrait croire à la vue des durées plutôt réduites des titres comme à l’abondance de ceux-ci ou des références citées que notre camarade souffre d’attention span mais en 10 ans force est de constater que même si on y comprend pas toujours tout, la cohésion de la carrière est indiscutable. Son habitude maintenant à développer ses projets en des volumes, des series qui se suivent et se répondent comme l’a été I Can’t Feel Much ou l’est More To Life Than This sert de miroirs aux différentes phases que traverse Perks et l’auditeur qui décide de le suivre. De son stress de voir son entourage lui dire que le succès arrive demain quand lui sait que ce jeu est sans fin, de la pression relative de devoir mettre des images sur ses musiques, nourrir une fan base, même à son niveau. Plus que des inspirations, ce ne sont vraiment que des états des lieux du moment T et chaque série dévoile au final un sentiment différent au fur et à mesure que le chemin s’établit.
Si les suédois ne font pas partie de ses références les plus directement revendiquées, difficile à l’écoute de certains titres de ne pas penser aux sad boys ou à BONES. Dans la façon chantée qu’il a de débiter ses paroles ou du sentiment d’apathie qu’il en ressort parfois, dans l’usage du chopped and screwed pour déstructurer ses morceaux, sans oublier qu’ils partagent à peu près la même frise chronologique. On en retrouve des traces sur des titres comme 9am ou Birthday. A cette emphase des mélodies, au plaisir évident qu’il prend à chanter ces ballades répondent des titres d’une simplicité salvatrice parfois dans cet océan de sonorités. 3500SOULJUH sur le dernier album s’octroie donc le luxe d’un titre trap relativement téléphoné et pourtant parfaitement exécuté. Ce ne sont pas forcément les titres les plus intéressants de Perks mais il sait les faire. Aux côtés d’Evil Giane, Harrison et Goner il peut quasiment tout faire de toute façon, les hommes se connaissent maintenant comme des frères et chaque projet est l’occasion d’approfondir mutuellement ces relations, le triptyque peut vivre en autosuffisance. Sur Eway / RIP SPEEDY en hommage à son ami disparu, il s’autorise à aller chercher du côté de la jersey club quand le titre suivant sample allégrement Paparazzi de Lady Gaga, tout est permis.
Quand on y pense Polo aurait pu exploser déjà à maintes reprises. Avec tout le reste de la vague Soundcloud, à l’émergence de l’emo rap, à celle du mumble rap aussi, son univers étant si vaste qu’il aurait pu récolter toutes les couronnes. Il a fallu réfléchir sérieusement quand il s’est agit de trouver pourquoi ça n’était pourtant toujours pas le cas. S’il jouit d’un succès critique de connaisseurs, son nom ne résonne pas auprès du grand public comme l’ont fait ceux de ses références. Peut-être est-ce à cause de ses titres à rallonge ou en majuscules qui effraient, ces titre sous forme de ligne de code: i.c.f.m Pt.3 / forhteoniesilost. What does that even mean?? Mais dans la dissonance qui l’entoure comme le caractérise au premier abord, Polo Perks construit quelque chose d’un peu plus grand que l’émergence éphémère d’un sous-genre. En refusant de signer un record deal comme en continuant de sortir les projets à la chaine, il continue à s’amuser tout en explorant son identité et son talent qui ne s’inscrivent instinctivement dans aucun moule. Un problème de ciblage de marché et de segmentation vous dirait une équipe de marketing bien renseignée. Au final l’homme vit, plutôt bien, cette visibilité au mérite qui ne cesse de s’étoffer, certes plus lentement qu’un jour imaginé mais d’une qualité qui en dit long sur les travaux que mène Polo Perks dans l’undergound. Un stage en bâtiment vous apprendra que si la structure n’est pas bonne, l’édifice ne peut tenir. Je ne suis pas certaine que le but premier de Perks soit la gloire personnelle, je crois en revanche que les bases qu’il ne cesse de poser sont faites pour durer, et que son nom ne pourra être dissocié de ce qu’il va se passer après.
Article écrit par Lucille.
(Crédit Photo : photogramme édité issu du clip « CONFUSED N IN LOVE » réalisé par @subliminalplus)