OCTOBRE ’22 PAR GATHER

Le dixième mois de l’année a touché à sa fin, marqué par une incroyable soirée à La Marbrerie le 21 octobre dernier, et plus tristement par le décès de Takeoff, éminent membre des Migos. L’équipe de Gather vous propose un résumé musical de ces 31 jours à travers une sélection réalisée par ses rédactrices et rédacteurs. L’actualité musicale hebdomadaire est à retrouver sur les comptes Instagram et Twitter de Gather ! (Crédit photo cover : Ben Watts pour GQ)

Valentin

Projets :

Joyce Moreno – Natureza

Grande figure de la música popular brasileira avec plusieurs dizaines d’albums à son actif depuis les années 1960, Joyce Moreno n’en reste pas moins terriblement méconnue du grand public international par rapport aux titans du genre, comme João Gilberto ou Antônio Carlos Jobim ; Natureza est l’occasion de se demander pourquoi. Un vrai mystère, en effet, presque aussi inexplicable que le fait qu’il ait fallu attendre pas moins de 45 ans (!) pour que cet album nous parvienne. Enregistré à New York en 1977, Natureza aurait dû être le magnum opus de Joyce Moreno, mais sa sortie sera annulée en raison notamment de divergences d’ordre artistique entre la Brésilienne et son producteur, Claus Ogerman, ce dernier souhaitant entre autres réenregistrer l’album en anglais pour lui assurer davantage de succès auprès du public américain. Parallèlement, l’intérêt pour le jazz brésilien commençait à décliner en Occident au profit de nouveaux genres comme le disco. Les sessions de Natureza furent alors mises de côté, avant d’être tout simplement oubliées.

Rentrée entre-temps au Brésil, Moreno tourna la page puis se remit à composer. Bien que confrontée à la censure de la dictature militaire et aux réactions sexistes que suscitait son fervent féminisme, elle connut quelques succès dans son pays natal durant les années 1980. Au tournant de la décennie suivante, la popularité tardive de certains de ses morceaux nourrit les rumeurs concernant un album « perdu », qui mettra donc encore plusieurs décennies à arriver. Nous voilà en 2022, face à ce fameux Natureza, qui, s’il se compose principalement de titres déjà disponibles éparpillés entre différents albums et compilations, nous permet de (re)découvrir le meilleur de la native de Rio de Janeiro. Et entre l’étourdissante version longue de son célèbre « Femenina » ; l’irrésistible élégance de « Coração Sonhador », inédit interprété par Mauricio Maestro, qu’on retrouve à l’écriture de plusieurs morceaux ; ou encore le doux et passionnel « Mistérios », soyez assuré·e·s qu’il y a de quoi se réjouir. La sortie inespérée de Natureza marque la fin d’un feuilleton de près d’un demi-siècle et, au-delà de ça, le point d’orgue de la carrière déjà bien remplie de « Joyce ».

Moin – Paste

Lorsqu’en juin 2021, AD 93 annonce la sortie d’un album de Moin le mois suivant, bien des sourcils ont dû se lever parmi les adeptes de ce label, par ailleurs l’un des meilleurs sévissant outre-Manche. Et pour cause : ce discret et éphémère groupe de rock, présumé mort depuis 2013 (année de sortie de son premier et dernier EP), n’est autre que le side-project de Joe Andrews et Tom Halstead, deux Londoniens mieux connus sous le nom de Raime pour leurs expérimentations à l’extrémité électronique du spectre musical. Au cours de la dernière décennie, Raime fit les beaux jours de feu Blackest Ever Black avec son impénétrable mélange de musique industrielle, de drone et de post-dubstep ; et le succès rencontré par le duo auprès des fans de musique électronique éclipsa peu à peu les quatre morceaux (pourtant excellents) enregistrés sous leur autre alias. Seulement, après la sortie du dernier EP de Raime en 2019, Andrews et Halstead se trouvèrent face à une impasse créative, comme ils l’expliquent dans cette fascinante interview accordée au journaliste américain Shawn Reynaldo fin octobre.

Rejointe par la batteuse italienne Valentina Magaletti, la paire anglaise décida de ressusciter le groupe. En découla ce fameux Moot!, un premier album exceptionnel où s’entrechoquent drums sèches et complexes, guitares abrasives à la Slint et samples énigmatiques. Étant donné le temps qu’il a fallu pour faire renaître Moin, on n’imaginait pas le groupe remettre le couvert de sitôt. Pourtant, le revoilà un an plus tard dans ses œuvres, avec un nouvel opus tout aussi renversant : Paste. Si ce dernier suit le même schéma que son prédécesseur, on a l’impression que le trio a eu envie de laisser passer quelques rayons de soleil dans sa musique. Sur « Melon », les riffs jadis hermétiques se désépaississent et se font plus enveloppants ; « Yep Yep » ou encore « Hung Up » séduisent par l’utilisation malicieuse de leurs samples ; et, plus globalement, la dimension électronique est davantage palpable. Avec Paste, Moin continue de puiser dans l’héritage post-hardcore des années 1990 pour tracer de nouveaux chemins aussi captivants qu’étonnants, et s’affirme déjà comme un groupe à part dans la longue histoire du rock.

Morceaux :

Armani Caesar ft. Kodak Black – Diana

B I L L Y G & DJ Lycox – 100% Já Tou Doido

Cambyse – XO

Doon Kanda – Galatea

Isabella Lovestory ft. Ms Nina – Gateo

Emilie

Projets :

Loyle Carner – Hugo

Le mois dernier, Loyle Carner nous a fait le plaisir de nous offrir un nouvel album : Hugo. La barre était placée très haut par son précédent projet, Not Waving But Drowning, qui nous suit depuis 2019. C’est par un récit intimiste et une vulnérabilité rare que Loyle Carner se fait le narrateur de sa propre histoire, avec ce phrasé et cette sensibilité qui lui sont propres. Hugo nous présente son vécu à travers la question complexe de l’identité de soi, en tant qu’homme métisse, tout en nous berçant par des productions et samples cohérents issus de la soul et du jazz (grand coup de cœur pour « Nobody Knows » sur ce point-là). La thématique familiale est omniprésente depuis les débuts du Londonien : si Not Waving But Drowning est notamment ponctué d’odes à sa mère, Jean, Hugo vient explorer ses sentiments face à l’absence de figure paternelle dans sa vie. Les featurings et quelques interventions de dialogues se fondent à merveille dans cet ensemble doux d’un artiste dont la plume poétique se veut toujours aussi incisive, sincère, et profondément émouvante.

Lolo Zouaï – PLAYGIRL

Depuis quelques années, Lolo Zouaï émerge dans la scène r&b entre les États-Unis et la France. Avec PLAYGIRL, l’artiste affirme le tournant hyperpop de sa musique, après quelques expérimentations autour d’un genre que de plus en plus d’artistes tentent de maîtriser. Le concept de l’album est simple : l’artiste présente trois aspects différents de sa personnalité: « playgirl », « dreamgirl » et « partygirl ». Chaque morceau incarne une dimension différente, autant dans les genres musicaux (entre hyperpop, pop classique, et r&b) que dans la DA, bien travaillée. Un code couleur ingénieux sur la couverture de l’album nous guide à travers ce cheminement musical et l’esthétique futuriste clairement inspirée des années 2000 (on peut penser au clip iconique de TLC, « No Scrubs »). Entre ballades, confusion dans les sentiments et déceptions au goût amer, Lolo Zouaï dessine le portrait d’une femme et ses égarements dans ses années « 20-something », comme dirait SZA.

Morceaux :

Hania Rani & Colin Stetson – In All This Heavy Blue

Ab Soul ft. Zacari – Do Better

Fred Again.. – Clara (The Night Is Dark)

L’Impératrice ft. Rejjie Snow – Everything Eventually Ends

Ojerime ft. Mura Masa – Keep It Lo

Victor

Projets :

Armani Caesar – The Liz 2

Armani Caesar est plus qu’une rappeuse, c’est une diva. Et je ne semble pas être le seul à le penser puisque la principale concernée s’auto-proclame désormais comme telle : « A Caese, the motherfuckin’ diva« . Galvanisée par le premier volet, c’est donc le vent en poupe et auréolée d’une toute autre stature au sein de Griselda qu’Armani Caesar nous dévoile The Liz 2. Un projet qui arrive à tirer son épingle du jeu malgré l’intensité en rigueur toujours aussi immodérée chez Griselda quand il s’agit de sortir des projets. Pour autant, la native de Buffalo réalise un tour de force formidable en parvenant à sortir l’un des projets, si ce n’est le projet le plus abouti du label. Album dans lequel elle parachève son protagoniste brouillé entre une sensualité suave et un passif lourd ponctué de drames et de drogues dures ; bref, l’allégorie parfaite de la « female Bugzy Malone ». Derrière les artifices frivoles et les bagatelles témoignant parfois d’un certain consumérisme très griselda-esque, Armani Caesar affiche une capacité à décortiquer les productions obscures et vaporeuses de Camoflauge Monk et de Daringer. La « Queen City » prouve aussi qu’elle est à même de s’imposer dans un cercle composé uniquement d’hommes, à la manière de Gangsta Boo au sein de la Three 6, de capturer brillamment la frigidité des artères revêches de sa ville et de retranscrire aussi bien la fumée des canons que les effluves intoxiqués des casseroles. C’est désormais clair, pour ceux qui en doutaient encore, Armani ne se contentera pas de la couronne de la meilleure female MC, elle en a après tout le monde.

8Ruki – PBR HD

PBR évolue au fil des saisons. Le printemps était rythmé par ses samples électrisants, l’été par la douceur melliflue de la voix de Ruki. L’automne, quant à lui, s’est vu foudroyé par un orage tambourinant prêché par la fureur du rappeur. À l’inverse des tonalités précédentes, c’est cette fois la sample rage, contraction de sample drill et rage, que le rappeur expérimente. Et j’insiste sur ce terme, puisqu’avec PBR Horse Diving, c’est littéralement un plongeon dans l’inconnu pour Ruki. Avant-gardiste, la nébulosité de cette teinte, plus ténébreuse que jamais, dévoile une place toute trouvée dans le cocon créatif de la gamme que PBR a permis de créer. Les premières notes de guitares, accidentées par le crissement sinueux des synthés, annoncent dès le départ la couleur et précipitent l’auditeur dans une instabilité qui le suivra sur tous les autres morceaux. Fort de son concept innovant, un peu à la manière d’un Max B, le jeune CEO qui, cet été, nous quittait avec une musique plus éthérée que jamais, revient cette fois avec un nimbus houleux. PoweredbyRuki était déjà l’un de mes coups de cœur de l’année, et les gammes qui vont suivre risquent de le faire vivre encore très longtemps.

Morceaux :

Jwles – 2001

Westside Gunn ft. Westside Pootie – Nigo Louis

Bricksy & 3G ft. Floki – Looney Tunes

Baby Smoove – Tim & Ginobili

CEO Trayle – Song Cry

Paul

Projets :

Souffrance – Tour de magie

L’année dernière, le rappeur montreuillois nous avait livré Tranche de vie, un vingt-titres sombre qui sonnait comme un cri de rage dans la ville, retraçant l’état d’esprit de ses trente dernières années. Épaulé à la DA par TonyToxik de son crew l’Uzine, Souffrance garde la même intensité textuelle sur Tour de magie, son deuxième album studio, crachant sa mélancolie et son seum contre vents et marées. Cette fois-ci, une pointe d’espoir s’élève au milieu de tout ce goudron boueux, celle d’une possible cicatrisation de ses maux et d’un avenir meilleur. En ce sens, le morceau « Rive » puise dans la mélancolie désabusée : « Oui ça va le faire, même si j’ai l’air d’avoir la tête ailleurs » ; quand « Plan annulé » apparaît comme la célébration d’un début de réussite : « Ça fait longtemps qu’ils m’ont dit de lâcher l’affaire, ça fait longtemps que je leur ai dit d’aller se faire enculer ». Les productions boom-bap à grands coups de piano assoient toujours aussi bien les éclats de Souff’ et les prises de risque sur des terrains plus hasardeux comme « Kill Them » payent en efficacité. L’artiste a pu célébrer son disque sur scène le 27 octobre dernier : une salle pleine à craquer, une démonstration de rap et un public bouillant à rendre inaudibles les instrumentales : fallait y être !

Grems – OUTRAGE

Si vous pensiez qu’il était compliqué de faire la transition entre Tour de magie et OUTRAGE de Grems, détrompez-vous, car tous deux réalisent l’exploit de namedrop la chanteuse Larusso dans des projets pourtant sortis en 2022. Ceci étant dit, recentrons-nous sur le neuvième album de l’artiste multi-casquette. Réalisé en collaboration avec le producteur RROBIN, avec qui l’artiste collabore régulièrement depuis 2013, OUTRAGE continue l’exploration entamée par Grems entre hip-hop et deep house, son fameux deepkho. Les boucles ultra-répétitives du producteur résonnent avec le flow du rappeur, utilisé comme un motif supplémentaire dans ce collage musical. « Le rap nous a sauvé la vie, il mérite d’être aux Beaux-Arts » nous disait Isha dans « Clope sur la lune », Grems de son côté ne se fatigue pas à faire une telle distinction : « J’fais un dessin, c’est le cachet de Booba Ninho ». Pour ceux qu’OUTRAGE n’aura pas rassasié, 10PKHO, le dixième album de l’artiste, est sorti le lendemain et celui-ci a annoncé dans la foulée la sortie de DEEPRO, le 25 novembre prochain. D’ici là, n’hésitez pas à jeter un œil à l’Instagram de l’artiste, que vous aimiez les grandes fresques murales ou les jolis maillots de foot

Morceaux :

Loto – Babe

H JeuneCrack – L’éther

Duke Deuce – MR MEMPHIS MASSACRE

MAVI – Spoiled Brat

Souffrance – Solide

Eddy

Projets :

Loto – Tout le monde déteste Loto

Le patron du Detroit rap en France nous a offert le mois dernier son deuxième projet de 2022 et ce fut, pour ma part, encore une bonne claque (sans surprise). Des productions, encore une fois, finement sélectionnées et qui nous font voyager d’un titre à l’autre de la Californie au Michigan. Sur le plan des lyrics, Loto maîtrise toujours aussi bien sa formule, avec des phases piquantes, un flow assuré et un charisme toujours aussi convaincant. Le rappeur n’est clairement plus à un stade où il doit s’efforcer de prouver, son art se perfectionne encore un peu plus sur cette nouvelle sortie, alors qu’il avait déjà atteint un certain niveau de rayonnement sur le projet précédent Soolja. Le talent est plus que jamais indéniable, et il sera intéressant de voir désormais comment l’artiste compte aller chercher un public encore plus important avec un style de rap qui reste toujours obscur, si ce n’est incompris, auprès des Français. En attendant, Tout le monde déteste Loto s’affirme sans sourciller comme étant ma sortie FR favorite de cette fin d’année.

Lil Baby – It’s Only Me

Un poil provocateur, l’excellent site PassionWeiss titrait récemment un article de la manière suivante : « Lil Baby Proves He Doesn’t Need a Great Album to Be the Greatest Rapper Alive« . Cette manière d’aborder la chose ne fait que conforter un peu plus mes pensées : Lil Baby peut prétendre sans sourciller au statut de meilleur rappeur du monde sur ces dernières années, et sa difficulté à l’illustrer avec un projet entier n’y changera rien. Effectivement, sa formule reste la même mais l’aisance du rappeur d’Atlanta est tellement hors du commun dans ce registre qu’elle ne cessera probablement jamais de fonctionner. On a désormais conscience que Lil Baby ne nous offrira probablement jamais un album à la hauteur de son talent, mais ce n’est pas forcément ce qu’il cherche en priorité. Il faut donc savoir appréhender ce génie du rap moderne comme tel, sans pour autant chercher à le juger à l’aide d’une échelle basée sur les conformités et les coutumes historiques de notre musique. Lil Baby fait une fois de plus ressortir sa peine de fort belle manière à travers sa voix, tout en découpant des prods trap taillées sur mesure pour lui. Avec ce projet, le rappeur ne fait effectivement pas un pas en avant mais il ne manque pas de venir confirmer ce que je pense déjà de lui… Vous savez sur quelle tête trouver la couronne.

Morceaux :

Ot7Quanny – OK OK

LUCKI – 13

Dafliky X Gapman – Trapalot

Valee, MVW – Bali

NBA Youngboy – Like A Jungle

Lucille

Projets :

KOUDLAM – Precipice Fantasy Part 1

Il aura fallu huit ans à KOUDLAM pour sortir le successeur de Benidorm Dream et atteindre les trois albums en 16 ans de carrière maintenant. Huit ans et la joie en demi-teinte de réentendre cette voix à de trop rares intervalles, chez Scratch Massive pour un tube qui date déjà d’une décennie maintenant, chez Maud Geffray plus récemment, KOUDLAM était nulle part et pourtant toujours un peu aux alentours. Une chimère qui s’est épanouie entre « le chaos et la symphonie », là où il a toujours réussi à dénicher ses sommets esthétiques, qui rendent sa musique si cathartique, théâtrale et salvatrice à la fois. Comme à son habitude, KOUDLAM nous fait vivre des montagnes russes, architecte de ses morceaux comme de sa carrière, avec minutie et rigueur, il impose son univers : la chute sera haute, mais avant celle-ci, promis, on atteindra le magnifique. Alors on se promène dans sa vision de la pop, aux influences cold wave, prog rock et électroniques, on côtoie la poésie d’une ballade folk sur « River », on retrouve son goût pour les boucles de synthés dantesques sur le titre éponyme « Precipice Fantasy » et on concrétise le chaos sur des pistes comme « I Will Rape The World ». L’album est d’une richesse tout aussi pudique que son auteur, se dévoilant en quintessences occasionnelles. Ce retour, cette « Part 1 », est donc le récit pop de cette dernière décennie presque silencieuse, du moins ce qu’elle devrait être selon lui, avant qu’une partie 2, tournée vers l’ambient, vienne dépeindre les méandres les moins avouables à ses auditeurs les plus aguerris.

3333-69

Bientôt trois ans que Billy Bultheel et Alexander Iezzi collaborent sur divers projets alliant performances visuelles, musicales et artistiques qui leur ouvrent les portes de biennales, du MoMa comme des meilleurs clubs techno, après ce premier album sous l’alias 33. Billy vient du classique, une formation au conservatoire en poche, et Alexander s’affaire lui à créer des oeuvres qui challengent les formes de perception du politique (je ne suis vraiment pas chronique d’art contemporain après). Le mix des deux résulte en un brillant mélange alliant « heavy electronics with medieval, baroque polyphony and performance ». Un bouillonnement alliant à tout ça des accents punk nous faisant passer de la plus cristalline des mélodies et voix aux plus brutales et efficaces basses d’une techno assassine. Vous aurez donc la chance, après avoir réussi à passer les premiers titres ravageurs et chaotiques, d’assister au moment de grâce qu’est « Sexus » avec Steve Katona, pour passer au terrifiant « The Knife » avec NAKED, qui explore les sonorités expérimentales des scènes deconstructed club. Le single qui annonçait l’album, « Fireworks », et qui s’octroie un clip révélateur de l’hyperactivité créative des deux protagonistes, reste un des moments forts de l’album, un missile de techno magistralement exécuté. Le titre est terrassant et se déploie dans toute sa perfection au cours de ses 4 minutes 34. En fin d’album arrive la violence froide de « Heaven’s Blade », qui ne laisse plus aucune image viable du paradis à son écoute malgré son titre. Cet excellent album parait sur le label C.A.N.V.A.S, qui se construit décidément un des catalogues les plus qualitatifs du marché.

Morceaux :

Burial – Streetlands

Xanakin Skywok ft. SSJISHMAEL – Diamond Drift

DJ MUGGS & CRIMEAPPLE – Nada Era Facil

Dawn Richards & Spencer Zahn – Cerulean

Ekin Fil – Ghost Boy

Piwi Longuevoie

Projets :

Arctic Monkeys – The Car

Arctic Monkeys n’a plus besoin de présentations. Depuis 2002, le quatuor de Sheffield est devenu un incontournable de la scène rock anglaise. Fiers représentants de leur pays, capable de déchaîner les foules plus sûrement qu’une victoire du XV de la Rose, Alex Turner et ses comparses ont, avec leurs deux premiers albums, livré des hymnes adolescents sur fond d’alcool et de soirées de débauche. Après AM – déjà clivant pour certains de leurs die hard fans -, la sortie de Tranquility Base Hotel & Casino avait surpris – voire perdu ! – une partie de leur audimat au passage. Le rock poisseux et nerveux aux textes à la fois gouailleurs et acerbes s’était mué en une pop psychédélique teintée de space rock. 

The Car, nouvel opus du groupe sorti le 20 octobre, lorgne toujours du côté des années 70, mais Alex Turner s’est transformé cette fois en crooner qui ne chante qu’en falsetto, et a dépoussiéré la pédale wah-wah. Les rythmiques explosives ont cédé la place à des orchestrations baroques ; les récits de soirées dantesques ou d’hôtels flottants dans l’espace à des chansons d’amour. Mi bande son de film noir français, mi musique de bar lounge, The Car tranche encore un peu plus radicalement avec les précédents opus. On trouve des moments entraînants que n’auraient pas reniés les groupes de Mo-Town (« I Ain’t Quite Where I Think I Am ») ; des accords mélancoliques, aussi, presque grandioses, pour « Mr Schwartz » et « Big Ideas ». « Sculptures of Anything Goes » est l’ovni de l’album, avec ses synthés et ses effets de reverb et de delay pour proposer des sonorités plus sombres. Moins de guitares, oui, mais des ambiances plus travaillées, qui viennent souligner l’écriture surréaliste de Turner. 

Comme cette Toyota Corolla blanche solitaire sur un toit de Los Angeles qui orne l’artwork de l’album, la musique d’Arctic Monkeys est désormais mystérieuse et nostalgique ; et elle en devient d’autant plus intéressante. Les Anglais ont désormais choisi d’évoluer en marge du rock, qu’ils ont contribué à remettre sur le devant de la scène avec leurs deux premiers albums.

CRIMEAPPLE & DJ Muggs – Sin Cortar

CRIMEAPPLE s’est montré prolifique en 2022 : Sin Cortar est la troisième de ses sorties cette année, et succède aux excellents Jaguar On Palisade 2 et Breakfast In Hradec. Spécificité du projet, et non des moindres : le rappeur, qui avait habitué ses auditeurs au spanglish, livre cette fois un projet intégralement rappé en espagnol.
Après Cartagena en 2021 et Medallo en 2019, le rappeur du New Jersey aux origines colombiennes s’allie de nouveau à DJ Muggs, producteur et DJ pour Cypress Hill et tête pensante des Soul Assassins. Pour l’occasion, celui-ci sample allègrement la musique latine et hispanique sur le projet, créant pour CRIMEAPPLE un terrain de jeu propice aux exercices de flows. L’album s’ouvre d’ailleurs avec « Manteca Mambo », où le rappeur salue cette nouvelle collaboration : « Felicitaciones / y a Muggs me esta produciando las cancíones ».

Bravades, vocabulaire inventif pour désigner les substances illicites, passion pour le crime et ses aspects les plus sombres : Sin Cortar a des airs de narcocorridos, ces chansons à la gloire des méfaits des trafiquants. Alliant la musicalité de l’espagnol aux prods très « NYC » de Muggs, CRIMEAPPLE reste en terrain connu dans ses thématiques, et pour peu qu’on ait pris espagnol en LV2, on déchiffre assez aisément son propos. CRIMEAPPLE use de la phonétique de sa langue natale pour construire ses bons mots et double-sens , comme sur le refrain de « Lucas y Monica » – genre de Bonnie & Clyde remis au goût du jour – où il entonne « en mi bolsillo, Monica (Money; K’s), Monica » pour parler des liasses dans sa poche. Doté d’une réelle présence au micro, CRIMEAPPLE rappe d’un timbre grave et calme, et l’on a parfois l’impression d’écouter un tío en train de raconter ses folies de jeunesse à ses neveux, comme sur « Nada Era Facil », rendue mélancolique par le riff de guitare samplé par Muggs. Versatile, le rappeur fait preuve sur Sin Cortar de la même constance que sur ses précédents projets. Pour filer la métaphore de la drogue, il est conscient d’avoir trouvé la bonne formule, et avec DJ Muggs en guise de chimiste associé, il sert chaque morceau « sin cortar » : sans coupe.

Morceaux :

Fred Again.. – Eyelar (shutters)

Birds In Row – Daltonians

Babysolo33 & Low Jack – Lune

Loto – Sitcom

Phoenix ft. Ezra Koenig – Tonight (Vegyn Remix)

Hovito

Projets :

Young Threat – Still In The Trenches

Le meilleur disque sorti à Los Angeles en octobre nous a été délivré dès le premier jour de ce mois. S’il est commun d’exprimer sa peine en musique, même pour les rappeurs au style de vie extrêmement dur, Young Threat se sublime en rappant avec l’objectif d’éteindre les derniers états d’âme qui lui restent. Après une peine de prison de 16 mois ayant freiné son ascension, il confirme qu’il est l’un des rappeurs sur lesquels on va devoir compter. À travers tous les couplets qu’il a distillés ici et là cette année, son flow varie encore et ses fulgurances donnent l’impression d’un rappeur encore en train de se découvrir. S’il devait capitaliser sur une formule, il faudrait sans aucun doute s’inspirer de « Supreme », qui s’avère être le morceau fort de Still In The Trenches – et sans doute l’un des meilleurs morceaux de rap californiens sortis cette année. Son timbre de voix se trouve en parfaite adéquation avec l’insensibilité maladive dont il fait preuve au micro. Tous les ingrédients présents permettent au rappeur de South Central de façonner peu à peu un style singulier, au milieu d’une masse de rappeurs relatant leur vie de gangbangers des rues de Los Angeles. En espérant que sa progression ne sera pas une nouvelle fois interrompue par un retour derrière les barreaux, la suite des évènements méritera toute notre attention concernant Young Threat. Pourquoi ne pas changer le rap de sa ville à son tour ?

FL Dusa – Money Made Problems

À Baton Rouge, une star en cache une autre. Malgré la tendance à l’homogénéisation du son sudiste, qui, à l’échelle mainstream, a eu tendance à se conformer à ce qu’était le son d’Atlanta, les rappeurs de Baton Rouge sont sans doute ceux qui ont le mieux réussi à cultiver leurs spécificités locales. C’est le cas de FL Dusa, qui confirme la règle. Après une flopée de featurings avec son mentor Kevin Gates – avec qui il prépare un album commun -, il est devenu l’une des têtes d’affiche de sa ville. Sans rien réinventer, Money Made Problems contient son lot de pain songs dans lesquels le rappeur de 24 ans chante merveilleusement bien sa tristesse (il a été élevé à la bonne école). La musique comme exutoire, ils sont nombreux à subir les conséquences psychologiques de la violence qui dicte leur quotidien. Pourtant, chez FL Dusa, comme chez la majeure partie de ses prédécesseurs, c’est la solitude au moment d’affronter ses travers qui dénote et découle sur une mélancolie on ne peut plus touchante. Cette solitude est symbolisée par l’absence d’invités sur l’album (pas même Kevin Gates), à travers lequel FL Dusa nous dévoile ses nombreuses facettes dans une musique qui paraît profondément intime et qui ne nécessitait pas d’être partagée. Pour compléter la formule, des morceaux revivifiant comme « Tear Drops » puisent leur énergie dans les restes d’influences de bounce music qui façonne le style du rap local, encore à ce jour.

Morceaux :

SleazyWorld Go – Creepers

STB Banzo ft. GFEENI, SieteGang Yabbie & GSqueeze – Invest It All

Big Sad 1900 ft. Blueflag 1900 – Jackers & Robbers

Skilla Baby – Tiger Unit

Jeezy & DJ Drama – Bruh

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