Au cinéma, très rares sont les suites qui nous offrent un film de meilleure qualité que le précédent. Il n’y en a pas beaucoup… Mais il y en a.
Le Parrain II est très certainement le meilleur exemple. Si la première partie du Parrain est bien évidemment excellente, à mes yeux, sa suite est de meilleure facture. La mise en scène est la principale raison qui fait du Parrain II un film tout bonnement meilleur. Cette mise en scène qui mêle deux timelines différentes – celle d’Al Pacino en tant que parrain de la famille, qui est donc la suite directe du premier, et celle du grand Robert De Niro, qui joue un Vito Corleone (rôle de Marlon Brando dans le premier) plus jeune – est tout simplement géniale. Ce génie permet de raconter en un seul film le futur de la famille, comme son passé avec ses origines.
The Forever Story, troisième album studio du rappeur JID, compte certains points communs dans la forme qui mérite ce parallèle avec l’une des plus grandes suites du cinéma.
Tout d’abord, si cette analogie peut avoir lieu, c’est parce que JID dit avoir conçu cet album comme une suite. C’est de cette façon qu’il en parle dans son interview pour la radio HOT 97, dans laquelle il dit aimer les suites au cinéma. The Forever Story est donc le sequel de The Never Story (2017), son premier album studio. Ce concept cinématographique de sequel n’est pas étonnant quand on sait que JID a consacré une série de mixtapes à Leo DiCaprio, avec DiCaprio 1 et DiCaprio 2. Avec The Forever Story, JID nous offre son origin story. Une origin story qui se veut plus intime et plus profonde que celle de The Never Story. Comme il le confie à Ebro dans l’excellente entrevue qu’il a donnée à Apple Music, The Never Story partait d’une démarche humble dans laquelle JID racontait qu’il n’y avait rien à cette époque. Aujourd’hui, le kid d’Atlanta a bien évolué et nous livre une histoire encore plus personnelle dans son sequel. Ce mécanisme narratif, on le retrouve dans le Parrain II. Certes le Parrain II est la deuxième partie, le sequel, le numéro 2… Néanmoins, comme dans The Forever Story, ce qui nous est raconté sont les racines et les origines de ce qui nous avait été montré dans le premier opus.
Comme un générique de film, l’album commence par la même intro que sur The Never Story. Remixée différemment, elle ressort plus enjouée que celle de son premier album. Cela peut faire penser à la série The Wire, dont le générique, « Way Down in the Hole », était réarrangé à chaque nouvelle saison.
Ensuite, tel un carton de defensive tackle (poste défensif au football US) de plus de 200 kg, on se prend le premier track de l’album : « Raydar », morceau effréné dans lequel nous sommes transportés au cœur d’un terrain de foot américain. Pas anodin lorsque l’on sait que la première obsession de JID avant le rap fut le foot US. Chaque couplet est entrecoupé de « refrains » dans lesquels nous entendons un arbitre donner des instructions. Comptant trois changements de productions pour un nombre de flows incalculable, « Raydar » montre les excellentes qualités de rappeur et de lyriciste de JID, qui livre des phrases puissantes sur la société américaine, et donne tout de suite le ton sur la qualité de production de l’album. Cette qualité, on la doit en grande majorité à Cristo, le producteur que l’on retrouve quasiment sur chaque track de l’album.
Très bien transitionné par son titre précédent, « Dance Now » est très certainement le hit rap de l’album. La mélodie reprise du titre « Yoel’s Niggun » du groupe Zusha, donne un aspect entêtant qui réussit très bien au morceau. JID nous montre sa polyvalence et sa créativité sur les prérefrains, où il sort les crocs avec une voix forcée et agressive. Par ailleurs, il dit s’être inspiré de Tyler, The Creator pour prendre cette grosse voix forcée. Kenny Mason sublime le morceau avec un refrain éclairé et nous montre à quel point chaque invité est important et toujours extrêmement bien utilisé dans ce projet. On notera cette line qui retranscrit parfaitement ô combien JID est talentueux pour jouer avec les mots et leurs sonorités :
« Lemme bear it all when I’m tellin’ God
You know I’ma rant when I talk to Jah »
Ici, JID parle des moments où il se confie à Dieu, tout en jouant avec la phonétique des mots faisant allusion au joueur de basket Ja Morant, qui joue aux Grizzlies de Memphis.
La famille est très certainement la thématique principale de The Forever Story. « Crack Sandwich » en est le plus gros exemple. Sur une production qui garde les mêmes éléments tout au long de ses cinq minutes, mais qui ne cesse d’évoluer, JID nous raconte les liens qui unissent sa fratrie. Dans le troisième couplet, JID nous partage la mêlée générale à laquelle les sept frères et sœurs ont pris part dans un bar, puis dans les rues de La Nouvelle-Orléans, pour finalement finir dans le « paddy wagon ». Formidable storytelling qui prend, avec le flow de JID et la production, une dimension cinématographique. Le morceau est définitivement grandiose.
Si JID prouve encore et plus que jamais, à mon sens, ses qualités de rappeur et de lyriciste. L’album nous offre aussi son lot de sons soulful qui permet encore plus de servir son propos d’origin story : « Kody Blu 31 », le son de l’album. Jamais je ne me serais attendu à un son aussi powerful que celui-ci. Tout d’abord, la piste audio du début du morceau, où l’on entend les chants et les bruits de pelles provenant de l’enregistrement de l’enterrement de sa propre grand-mère. Est-il possible de faire plus intime et plus authentique que ça ? « Kody Blu 31 » permet d’apprécier pleinement la mélodie et le timbre de voix du natif d’Atlanta. Le refrain gospel transcende le son et nous transporte au cœur de cette réunion familiale. Sublimement fini par les vocaux de sa camarade chez Dreamville Ari Lennox, ce son est définitivement le highlight de l’album.
On retrouvera par la suite Ari Lennox, sur le très groovy « Can’t Make U Change ». Le son reprend le mythique riff de guitare de « Body Heat » de Quincy Jones, déjà repris par le « How Do U Want It » de 2Pac. Le track parle de changements dans une relation amoureuse. JID se questionne sur sa capacité à vraiment changer sa façon d’être en couple. Il ironise par ailleurs là-dessus lors de l’outro du premier beat, à travers une séquence où l’on entend une femme dire qu’il ne peut pas changer, car la seule chose qu’il a vraiment envie de changer est le beat.
Parlons aussi de l’excellent « Sistanem ». Une influence OutKast se dégage du morceau, grandement dû à l’apport mélodique de la chanteuse Yuli sur le refrain. James Blake fait ce qu’il sait faire de mieux et sublime parfaitement le son. JID y parle encore de sa famille, mais cette fois-ci d’une façon moins glorieuse que dans « Crack Sandwich », où il nous montrait à quel point sa famille pouvait être forte. Ici, le rappeur d’Atlanta parle de sa relation avec l’une de ses sœurs. Il expose toutes les raisons qui ont fait que cette relation s’est perdue, ainsi que tous les moments difficiles où il s’est rendu compte que rien n’était définitivement plus comme avant. Le son se clôt sur un répondeur que l’on imagine très certainement être celui de sa sœur, qui ne veut plus lui répondre.
Comment un sequel pourrait être aussi bien sans un casting cinq étoiles ?
Chaque featuring du projet est utilisé à merveille. Mais encore mieux, chaque featuring donne ce qu’il sait faire de mieux sur ce projet. C’est assez rare pour le souligner. Tout d’abord, le single « Surround Sound » nous y prépara un peu. 21 Savage, qui ces derniers temps nous a habitués à de très bon featurings, a confirmé sa forme du moment. Excellent, mais comme nous l’avons dit : prévisible.

Autre invité tout aussi généreux : Lil Durk. Sur une production peu coutumière pour le rappeur, Lil Durk a totalement ridé l’instrumentalisation. Le rappeur de Chicago s’est aussi complètement fondu dans le propos de l’album et de cette chanson, dans laquelle il parle de ses frères partis trop tôt, notamment DThang (RIP) ou encore King Von (RIP). Une vraie performance qui, à mes yeux, est de plus en plus rare. Lil Durk, qui bénéficie ces derniers temps d’un regain de popularité, a multiplié les featurings, faisant de lui un invité assez prévisible. Or, avec ce couplet, il nous a prouvé qu’il était très polyvalent et qu’il pouvait facilement rentrer dans un univers différent.
Il n’y a qu’à écouter ses projets pour comprendre que JID est un étudiant du rap. Celui qui avait déjà ramené Method Man sur sa mixtape Di Caprio 2, a décidé qu’il en serait de même pour ce nouveau projet.
Déjà shouted-out dans le single avec 21 Savage où l’on entend le sample de « Ms Fat Booty », c’est au onzième track que l’on retrouve le désormais très rare Yasiin Bey, a.k.a Mos Def. C’est sur des petits bruits d’oiseaux, similaires à ceux que l’on peut entendre sur le dernier projet de Black Star, No Fear of Time, que Yasiin Bey débarque sur « Stars ». Quel plaisir de réentendre pour la deuxième fois en une année le grand Mos Def. D’autant plus que, comme nous l’avons dit, aucun featuring n’a pris à la légère l’invitation de JID. Yasiin Bey a en effet proposé un sacré couplet. La production colle parfaitement à ce qu’on aurait pu s’attendre de la fusion entre Mos Def et JID. On remercie encore l’inépuisable Cristo mais aussi le groupe de jazz de Toronto BADBADNOTGOOD, qui apporte une dimension organique à l’instrumentale.
Et comme si cela ne suffisait pas, cette fois-ci sur un bruit d’allumage de blunt, c’est Lil Wayne qui s’invite sur le son « Just In Time ». Juste à temps. Là aussi, l’invité y lâche un excellent couplet qui donne de l’ampleur au projet. Comme sur le featuring avec Yasiin, la production est taillée sur-mesure pour le flow de Wheezy.
Nouvelle école comme ancienne école, chaque invité a donné ce qu’il avait de mieux pour The Forever Story. Cela montre en quoi JID est exigeant lorsque l’on parle de musique. Chaque nom n’est pas simplement là pour faire gonfler la hype du projet, mais parce qu’il rentre parfaitement dans le corps du projet.
Avec The Forever Story, JID confirme totalement les attentes que les auditeurs de rap pouvaient avoir de lui. Un vrai grand album où ni la forme, ni le fond n’ont été négligés. Un album où toutes les influences ont été parfaitement retranscrites et mises au goût du jour. Un album où chaque artiste invité a proposé ce qu’il savait faire de mieux. La satisfaction n’est aussi que plus grande lorsqu’on s’intéresse à JID. Toujours souriant, extrêmement généreux sur scène et aussi très humble, on se rend compte qu’il est aujourd’hui possible de faire de grands albums tout en gardant son humilité et sa simplicité. JID est un vent de fraîcheur dans le rap d’aujourd’hui, où l’excentricité est peut-être trop mise en avant. Si JID n’a pas changé et reste le jittery kid d’Atlanta, il a cependant évolué. The Forever Story n’est pas que l’histoire de JID et sa famille. C’est surtout l’histoire d’un rappeur de la zone 6 d’Atlanta qui nous prouve ici qu’il est capable de faire de grands albums. Si JID a bouclé une partie de son histoire, le meilleur reste très certainement à venir. Le verdict est clair et sans appel, JID DiCaprio remporte la statuette pour son rôle dans le sequel et biopic The Forever Story.
