SAMEER AHMAD ET LK DE l’HÔTEL MOSCOU : « MIAMI, C’EST LA GRANDE-MOTTE »

Si vous avez une appétence pour le rap français underground, nul doute que les noms de Sameer Ahmad et LK de l’Hotel Moscou vous disent quelque chose. Dans le milieu depuis une vingtaine d’années, consciencieux et perfectionnistes, l’un et l’autre ont su créer leur univers, fait de multiples références et de rimes plus riches qu’un certain Crésus. Géographiquement éloignés, les deux compères ont collaboré à de nombreuses reprises, chaque morceau étant un festival de barz.

Début septembre, la salle parisienne de La Place nous a offert un beau plateau : Sameer Ahmad et LK de l’Hotel Moscou. De retour en France après un passage à la Villa Albertine à Miami, Sameer et LK ont assuré un show exceptionnel, accompagnés de plusieurs guests (pèle-mèle : L’Epicerie Gang, Sako des Chiens de Pailles, Nikkfurie de la Caution, Sidi Sid de Butter Bullets…). On avait retrouvé les deux rappeurs juste avant leur concert à La Place, pour s’entretenir avec eux. Autant vous le dire de suite : mettre côte à côte ces deux passionnés de rap, d’art et de cinéma, c’était s’exposer à une avalanche de références, de réflexions sur la musique, mais aussi et surtout sur la vie. Futurs projets, vision des USA, recommandations littéraires et retour sur leurs carrières respectives : entretien avec deux « plumes lourdes » de l’underground français.

GATHER (G) : Est-ce que vous pouvez vous présenter tous les deux, et nous en dire un peu plus sur vos débuts dans le rap ? 

LK de l’Hotel Moscou (LK)  : Je suis rappeur et producteur, j’ai dû tomber dans le rap vers 95-96 avec Alliance Ethnik, Menelik, Je Danse Le Mia d’IAM. À la sortie de l’Ecole du Micro d’Argent, je me suis mis à écrire du rap. Je lisais déjà beaucoup de fantasy à l’époque, et il y a quelque chose dans l’album qui m’a parlé et m’a poussé à l’écriture. 

Sameer Ahmad (SA) : Pour moi, ce sont les vidéos de skate qui m’ont mené au rap. Alors forcément, ça te met face à un certain rap : Casual, Del Da Funky Homosapiens… Ça m’a aussi permis de découvrir d’autres sons, du rock des 70’s et de la soul californienne. Du jazz, même, notamment Curtis Mayfield. Mais globalement, j’ai des influences plutôt californiennes, presque hippie. Pharcyde, Soul of Mischief… c’était ça les groupes que j’aimais. New York aussi, un peu. J’avais adoré le Wu Tang Clan, dont je connaissais déjà quelques samples, genre celui de Tearz par Wendy Rene (After Laughter (Come Tears), 1964). J’adorais Inspectah Deck

LK : Un truc qu’on a en commun à la base c’est la musique -et plus largement la scène- hippie de San Francisco. Moi, j’écoutais ça via mon père. Il vivait au Vietnam et il est venu en France pendant la guerre, donc il a découvert ça via les GI américains. Avec Sameer, on en discutait souvent au moment où on a fait Apaches, et mon album San Francisco, c’est un condensé de cette époque, de cette ambiance.

SA : Oui, toute cette période d’avant Charles Manson finalement, le côté beatnikApaches était vraiment inspiré par ça, et le skate des débuts était très inspiré par ce truc de sortir de la tradition. C’était complètement l’idée du rock des années 60 d’ailleurs ! 

LK : Moi, j’ai toujours été inspiré par la scène de Memphis et ses ambiances. Au début c’était plutôt de la copie pure, et petit à petit j’ai récupéré la même intention pour la transcrire dans des inspirations et idées différentes, comme la musique hippie par exemple.

G : T’as collaboré avec plusieurs ricains : Spaceghostpurrp, Bones… C’est quelque chose qui pourrait se refaire dans le futur ?

SA : Charles Hamilton aussi ! 

LK : Charles Hamilton c’est un gars que j’ai rencontré par hasard ! Bon, on s’éloigne du sujet mais à Genève, je connaissais un mec qui est parti à New York et est devenu manager chez Violator Management. C’est une grande boîte qui manage des artistes, ils ont aussi fait des compiles pour 50 Cent ou Busta Rhymes. Et comme il manageait entre autres Charles Hamilton, il me l’a présenté. C’est en rencontrant des gens comme ça que je me suis mis à connecter avec des artistes américains. Maintenant je n’habite plus là-bas, j’ai pas le temps de suivre aussi bien les sorties rap qu’avant. Ça pourrait toujours se faire, et j’y suis toujours ouvert, mais c’est moins un truc auquel je pense. 

G: Vu qu’on parle des USA : Sameer, tu reviens d’une résidence à Miami, LK y était présent aussi d’ailleurs. Est-ce que y’a un besoin d’aller chercher ailleurs des choses que vous ne trouvez pas en France?

SA : De moins en moins dans les pays occidentaux. Quand j’étais jeune j’étais attiré par l’Amérique, l’Angleterre, maintenant j’aime plutôt les pays roots. Mais en disant ça, je me rends compte que j’ai un discours complètement occidental (Rires) ! Maintenant je vais au Maroc avec une pensée complètement occidentale, parce que c’est moins cher, j’ai mon passeport qui me permet d’y aller et de revenir, et dans ces moments je me dis “je suis complètement français, et complètement occidentalisé”. Donc je voyage avec une vision complètement occidentalisée des choses : je ne suis pas dépaysé quand je vais à Miami, je le suis plus quand je vais à Essaouira par exemple. 

G : Toi LK, t’as passé un moment à San Francisco?

LK : Oui, j’y avais de la famille, donc j’y allais régulièrement l’été un ou deux mois quand j’étais plus jeune. Après j’ai vécu à Boston, et ça fait huit ans que je suis en Angleterre. Donc je dirais la même chose que Sameer, ça reste quand même très « occidental ». L’Asie, je suis allé en Inde, à Hong-Kong, au Japon, mais je ne suis jamais retourné en Chine ou au Vietnam, dans des endroits où j’ai vécu.

SA : Le Japon d’ailleurs c’est quasi occidental…

G : Le voyage ça vient alimenter votre discographie finalement?

LK : Le voyage, c’est un outil utile dans la musique pour développer l’imaginaire. Ça ouvre des possibilités. 

SA : Après moi, je compare aussi ça à Sergio Leone. Quand il a fait ses quatre premiers westerns, il avait jamais été aux Etats-Unis de sa vie, mais il les a fait en fantasmant une Amérique. Je pense que c’est le meilleur truc. 

G : J’ai l’impression que y’a ça dans votre musique respective, cette image très “far-west” comme on peut l’avoir en tant qu’enfant

SA : Exactement. Dans le rap français, on a fait de l’appropriation culturelle avec le rap américain comme Leone l’a fait avec les fondamentaux du western américain. Je dis ça, je le fais à ma manière ! Mais j’aimerais avoir la même démarche, sans avoir les mêmes codes. “Sameer fera du rap car Sergio faisait du western”.

LK : Je rejoins de plus en plus Sameer dans cette idée de faire de l’adaptation. Le prochain album que je vais sortir il y a beaucoup de chansons avec des influences très “françaises”, piano-voix, limite Renaud (Rires). Mais je garde quand même ce côté rap, que j’adapte à cette nouvelle intention. Ça va aussi avec le fait que je suis moins l’actualité, les dernières tendances… 

SA :  Moi je suis encore des mecs très particuliers, très précis. Quand tu fais de la musique tu ne peux pas écouter tout. Mais un certain rap, je vais être à fond dessus. Mais bon, tu vois, DJ Khaled, je trouve ca très ennuyeux! Tu t’emmerdes ! Après, c’est des très bonnes portes d’entrées, mais c’est bon, je ne suis plus ceinture blanche ! Maintenant on a la clef, on a même fait le double ! 

G : Vous avez tous les deux des manières différentes de parler de vous, d’avoir recours à des personnages, que ce soit LK sur Xanadu ou Sameer Ahmad avec Ezekiel. Jouer avec des personnages, ça vous apporte quoi ?

SA : C’est surtout une histoire de style. Des fois j’ai des rimes, des idées, mais je me dis, si j’incarne un mec de 20 ans, ça aura plus de sens et ça passera mieux. Pour moi, ça rend parfois même les choses plus simples. Je me permets des rimes que je ferais pas en tant que “Sameer Ahmad, quarantenaire”. C’est un truc que j’ai compris très vite, pour enregistrer et faire un truc sans sur-analyser. 

G: Ça donne un côté presque side-project avec toi-même du coup?

SA : Ouais tout à fait, c’est un peu les Beatles avec leur album, là…

LK : Sergent Pepper.

SA : Exactement ! Ils se sont dit “On en a marre d’être les Beatles, d’être coincés dans ce carcan”, et ils ont créé un autre groupe pour faire ce qu’ils avaient envie ! 

LK : Moi sur Xanadu c’est différent. Ça m’a aidé, mais pas pour les rimes. Le fait de jouer un personnage, on ne saura pas si c’est vraiment moi ou pas, donc je peux me livrer plus facilement, être plus cash. Tu peux mettre une distance, je protège Laurent Kia derrière LK. 

G : Tous les deux, vous enregistrez et taffez en home studio…

SA : Ah mais il n’y a même pas de home studio ! Windows XP, une carte son, un micro et le cypher, et voilà, après j’envoie tout au mix.

LK : Moi j’enregistre chez moi mais je me suis fait un vrai un home studio. C’est quasi un vrai studio ! Le prochain album, je pense que je le mixerai moi-même. Avoir l’oreille pour ça, ce n’est pas venu instinctivement et j’ai galéré. Moi quand je m’enregistre tout seul, ça dure des heures, parce que je ne suis jamais sûr !  Je suis perfectionniste là-dessus. À Miami, c’était différent : on était en groupe donc on a fait ça vite. On s’était dit, “Ça va être des maquettes qu’on reprendra chez nous”, mais finalement il y avait une énergie spéciale.

SA : Il fallait garder le dynamisme du moment. Après, moi, j’ai bien aimé faire de la musique là-bas, mais bon… Miami, c’est la ville de l’ennui…

G : Pourtant c’est pas forcément la vision qu’en en a en France, on a encore ce fantasme des USA !

SA : C’est la Grande Motte Miami. C’est des plages -avec de l’eau chaude, c’est vrai- et des palmiers! (Rires) Miami y’a personne dans les rues, ça m’a choqué !

LK : On se le disait tout à l’heure : les gens qui ont le choix et choisissent d’aller habiter là-bas… Aucun intérêt ! Y’a de la musique dans la rue, mais c’est de la dance…

SA : De l’électro house FM !

LK : Mais du coup je comprends pourquoi la Bass Music vient de là-bas.

G : Miami, t’as quand même le Rolling Loud Festival, même si c’est aussi le côté un peu Disney du rap.

SA : À Miami personne écoute Rick Ross. Denzel Curry, personne ne le connaît. 

LK : Quand on était à Wynwood, la rue où les gens vont se montrer en lowrider, ils blastent de la house. Mais y’a des trucs culturels qu’on a pu voir, parce que c’était organisé par l’Ambassade de France : on a vu des galeries, des musées… mais c’est pas vraiment Miami. 

SA : Je suis resté un mois, dès le 3ème jour j’en avais marre. Alors que j’ai été plusieurs fois à New-York, là je pourrais rester 10 ans. Et là je comprends Booba qui tweete : il s’ennuie tellement ! Tu peux pas passer ta vie à la plage ! Moi j’avais qu’une hâte c’était rentrer et partir à Essaouira (Rires) ! Après il y a plein d’USA. New York ne m’a jamais déçu, alors que pourtant c’est un musée. On en revient à Sergio Leone : le New-York que moi je veux visiter, c’est le Paris d’Amélie Poulain. C’est le New York de Taxi Driver, il existe pas vraiment. Mais la ville est devenue ce qu’elle est grâce à ce fantasme aussi ! Parce que tu as encore les “décors” d’avant. Ça, tu ne l’as pas à Miami ! 

LK : Après si t’aimes bien aller dans des boîtes de nuits qui passent de la dance…

SA : La seule histoire, c’est qu’on a été dans l’hôtel Cocaïne Cowboys. C’est tout. Mais merci à la Villa Albertine ! Ils m’ont contacté pour le lancement de la Villa Albertine à Miami, ils m’ont proposé d’y participer, on a organisé ça avec Arnaud (Manager du label Bad Cop Bad Cop). Et j’aurais pu rester quatre mois ! 

LK : Je vois pas ce que tu peux faire pendant quatre mois à Miami. 

SA : Tu t’ennuies ! (Rires)

LK : Bon, c’était une super expérience quand même. Ça te donne une vision de l’Amérique, du consumérisme. C’est un bon condensé de l’Amérique finalement.

SA : T’as l’impression d’être dans un épisode de Strip Tease, mais version bubblegum, et en fait c’est pas marrant, ni intéressant. On est tombé sur un mec… Miky Chevalier…

LK : Il faut absolument que tu mettes ça dans ton interview : Miky Chevalier . 

G : En discutant avec vous, et même à l’écoute de votre musique, on sent que vous êtes assez férus d’art. L’artwork d’Effendi est très typé Roman graphique et LK est de l’Hotel Moscou, référence au manga Black Lagoon. La littérature, vous kiffez ça? 

SA : J’adore les BD sur le Blues moi. Meteor Slim, Pain in Vain, je dois en avoir une vingtaine. En ce moment, je lis un bouquin sur Robert Johnson, écrit par sa sœur.  Je me suis beaucoup inspiré de ce genre de BDs, dans les phases et dans les personnages. Je préfère être un jeune bluesman qu’un vieux rappeur. Tu écoutes des mecs comme Joe Lucazz, ils ont le gabarit de bluesmen. J’aime bien ce côté “perdant magnifique” des bluesmen : les mecs, ce sont des génies, pourtant ils jouent dans des vieux clubs, parce que  l’important, c’est l’art. Les histoires d’ascension, moi j’aime bien, mais seulement les débuts. Une fois que le mec est tout en haut, c’est plus intéressant. 

LK : D’ailleurs souvent le vrai film d’ascension, quand le mec arrive au top, il se rend compte que c’est pas ce qu’il voulait vraiment. Normalement c’est là que ça devient intéressant aussi. Moi, en matière de littérature, je lis pas mal de science-fiction, je me suis mis à lire des BDs aussi, mais je fais moins de références directes à ça. Ça vient servir un univers global, et je m’inspire plutôt de ce que je ressens quand je lis quelque chose. Il y a peu j’ai lu un manga qui s’appelle Blood On The Tracks, et vraiment quelle claque ! Je ne pense pas y avoir fait référence mais les émotions se sont ressenties dans ma musique.

G : Vous avez travaillé sur la BO de Bayou Bastardise, une bd qui est sortie chez Ankama et 619. C’est des projets qui vous tenteraient, d’aller faire du trans-médias ?

SA : Moi j’aimerais bien écrire un bouquin plutôt.

LK : Moi aussi. Après je ne promets rien. On m’encourage, j’ai des idées mais il n’y a rien de fait. 

SA : Moi j’aimerais faire du cinéma. Il faut raser le cinéma français et tout recommencer à zéro. Il n’y a plus rien qui tienne ! Regarde le truc de Kad Merad, c’est honteux ; il pleure à Quotidien pour dire que les gens ne vont pas au cinéma, il est financé par le CNC, il sort des films sur le Maroc tournés en Algérie… Laisse-moi tranquille ! 

G : Et du coup, là, si vous deviez recommander une lecture ou un album à écouter ?

SA : Queen’s Gangsta, de mon pote Karim Madani. Et sinon je lis Viper’s Dream, de Jake Lamar. C’est l’histoire d’un jazzman qui arrive à Harlem dans les années 30. En disque, j’ai bien aimé le J.I.D, The Forever Story. Après, moi un album ca me dure 4-5 mois. J’étais encore dans It’s Almost Dry de Pusha T avant, j’ai un peu lâché Mr Morale de Kendrick Lamar… Il faut que je me fasse le Roc Marciano avec The Alchemist. 

LK : Moi je vais vraiment recommander Blood On The Tracks, de Shūzō Oshimi. C’est un des derniers trucs qui m’a vraiment marqué. Les derniers trucs de SF qui m’ont marqué c’est des nouvelles chinoises, celles de Liu Cixin et de Baoshu. La Trilogie à Trois Corps, j’ai bien aimé, mais j’y vois quelques défauts. En musique, j’écoute un peu le dernier Murkage Dave, The City Needs A Hero. Il y a des morceaux excellents sur l’album, Don’t Come To London, It’s a Trap notamment. C’est le dernier truc qui m’a vraiment marqué. 

G : Vous avez déjà fait quelques morceaux ensemble et vous avez deux univers qui se complètent, un long format ensemble, ce serait quelque chose de possible ?

SA : Moi oui, c’est jouable. Je suis lent, mais on pourrait le faire.

LK : Quand on était à Miami on a fait des morceaux ensemble, on en a fait avant sur Apaches, sur Perdants Magnifiques.

SA : Moi LK j’aime beaucoup, c’est motivant de bosser avec lui. Après, ça met la pression, t’as peur d’être moins profond, d’être trop en surface… Il a une écriture plus fine !

LK : Moi je trouve que ça fait plus peur d’être en face de Sameer Ahmad ! Bon, c’est le moment où on s’envoie des fleurs (Rires). On apprécie la musique l’un de l’autre, donc c’est clairement quelque chose qui pourrait se faire. 

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