L’ASCENSION D’UN « VRAI CRACK »

L’eau chaude. C’est avec ce morceau que je découvrais le phénomène H JeuneCrack. Un phrasé déjà si singulier, un florilège de barz et un sample de Chuck Senrick qui sonnait curieusement familier à l’oreille puisque je me rendrai compte plus tard qu’il fut également repris par Travis Scott sur son unreleased Lost Forever, et voilà que j’étais déjà conquis par le rappeur toulousain dont je ne connaissais absolument rien. « Chaque son je réinvente l’eau chaude » murmurait-t’il, et il faut croire qu’il n’avait pas tord. Complètement piqué par ma première rencontre avec sa musique, j’étais désormais intrigué, traversé par cette étrange sensation d’inconfort d’écouter quelque chose que vous n’avez jamais entendu. Freud parlait d’inquiétante étrangeté, pour H elle l’était certainement tout autant qu’elle était plaisante. C’était dorénavant décidé, j’allais sauter dans l’inconnu et cela étant dit, H JeuneCrack ne quittera plus jamais mes écouteurs de l’année. Le 20 octobre dernier, le toulousain nous gratifiait donc de 3ème Cycle, le dernier volume de la trilogie, mais avant de s’y attaquer, un retour à une année 2022 effrénée s’applique. Et quoi de mieux que de piocher parmi les innombrables barz pour l’illustrer.

Un bug dans la matrice

Je vous confiais donc que ma découverte d’H JeuneCrack s’opérait lors d’une alitée de janvier, dans le froid inhospitalier des dédales de briques du nord de la France. J’y procurais un plaisir pour le moins jubilatoire, stimulé par l’OVNI auquel je me confrontais : « J’suis un bug dans le programme, un virus dans le réseau » s’auto-proclamait-t’il sur Fausse Cocaïne. Il mettait les mots exacts sur mon ressenti. J’écoutais stupéfait, et de cette bienvenue anomalie, je parvenais déjà à entrevoir les atomes qui gravitaient autour d’H JeuneCrack et pourquoi sa musique me fascinait tant. C’est avant tout un style extravagant, qui s’affranchît d’un certain nombre de codes devenus canoniques dans le rap, à l’origine d’une uniformisation dans le paysage que ce soit dans le mainstream ou dans les couches underground qu’on ne veuille se l’avouer ou non. Alors évidemment, à la première écoute on souligne un caractère comique dans son schéma discursif mais c’est là où H JeuneCrack est épatant. Il parvient à communiquer une personnalité engagée, presque militante, sous le camouflet d’un shit talk loufoque : « Pour les skieurs, ils envoient des hélicos/Pour les Syriens des avions de chasse ». Vous comprendrez la recette du toulousain est une musique qui se déguste dans une béatitude badine à la première écoute mais qui se savoure et se décrypte dans celles qui lui succèdent. Les gardiens du temple s’en offusqueront peut être, mais H JeuneCrack s’immisce dans le paysage artistique comme une réminiscence du rap conscient en y agrémentant, avec abondance, son lot de modernité et d’innovations. Il est en somme la collision entre un monde obsolète révolu et un autre émergent, la personnification de faire du neuf avec du vieux : « J’suis l’humain du futur gros j’suis un homme pré-historique ». Pas étonnant de l’entendre citer les freestyles de Big L ou les mixtapes de Gucci.

Le rap de H, au delà des goofy barz, regorge de références souvent dissimulées derrière un artifice qui se voudrait purement comique mais qui en réalité ne l’est pas dans le vide. C’est là tout la complexité d’une écriture aux reflets simplistes mais où des messages toujours sous jacents méritent d’être décelés. Dans un rap devenu édulcoré où des artistes les plus mainstream, jusque certains artistes émergents ont convergé de manière regrettable vers un matérialisme outrancier et une abondance superficielle, bien loin des valeurs militantes et des voix dissidentes que le rap véhicule. Personnalité simple et fidèle à ses valeurs, je remarque vite que l’appât du gain n’est pas l’essence de son moteur, au contraire il le réfute, craignant sa perversion et son vice. Au lieu de le désirer, il l’ignore carrément, considérant que de toute façon « flexer c’est pour les prouveurs ». Alors attention, je ne suis pas en train d’établir une concurrence morale entre le vieille garde et la nouvelle mais il est toujours bienvenu de l’entendre occire des politiques hypocrites et corrompues : « Ils volent des millions après ils t’parlent du taux d’mélanine/Oui j’parlais bien des politiques c’est une réponse exacte » sans oublier de fustiger à la police : « Les keufs ils sont violents, violents comme dans call of ». Oui c’est un peu tirer sur l’ambulance mais il s’impose néanmoins comme un barrage aux accusations paternalistes des protectionnistes du rap voulant réduire ce qu’est devenu le rap à de la vacuité autotuné.

Ambition comme mot d’ordre

« J’suis un diamant brut » claironnait, hagard, le sudiste sur 1er cycle. Entre-temps, le diamant s’est poli au fil que son rap s’est affiné puisque en l’espace de 10 mois, ce sont 5 EP qui sont venus nourrir une discographie dont la qualité ne ternit jamais. L’un, peut être le plus marquant, par son ampleur dans la jeune carrière du rappeur, reste sensiblement Mauvaise Musique, en collaboration avec son comparse Beamer. Et là tout bascule, une armée d’auteurs, brandissant le pouce vers le bas, se joint à la mouvance, conquis par le flow glacial de Beamer et la dextérité du H. Véritable point de bascule, Mauvaise Musique, titre éponyme produit par Abel 31 et le rappeur lui-même, signe l’un des hymnes de l’underground français de 2022 dont les paroles résonnent toujours chez les adeptes. Plus qu’un projet collaboratif bénin, il se mue en épreuve du feu qui voit la technique du phénomène se confronter à un partenaire déjà plus aguerri. Et le défi est relevé haut la main, c’est le moindre que l’on puisse dire. H JeuneCrack est sur de ses forces et il ne se la cache pas : « H Jeune galérien je suis broke/ même quand j’suis au plus bas j’suis plus haut qu’eux ». Son appétit pantagruélique se ressent, il a la dalle comme on dit, et c’est à partir de cela qu’il joint son ambition à celle de son partenaire : « Marquer mon temps j’vais le faire en viteuf’ (H JeuneCrack sur Mauvaise Musique) / J’suis prêt à tout graille, même les couverts » (Beamer sur Mauvaise Musique). En l’espace, court mais intense, de cinq morceaux, les passes passes entre le B et le H signent une symbiose qui parviendra à marquer les esprits, comme la genèse d’une harmonie que les rappeurs se découvrent, candides. Une relation fraternelle qui finalement dépasse le cadre limitrophe de la musique. Comme nous tous, Beamer pressent le potentiel du jeune prodige sur Demi Tour : « T’inquiètes t’en seras déjà là dès l’année prochaine ». Ses premiers faits d’armes remarquables et remarqués, il est désormais l’heure pour lui de sonner l’heure de la confirmation.

(Crédit : Whosleoh)


Le toulousain garde tout de même les pieds sur terre. Quand d’autres auraient pu se brûler les ailes précocement, H JeuneCrack fit le choix de l’humilité. Simplicité qui lui colle à la peau, que ce soit dans la forme que dans le fond, ce qui lui vaut dans le plus improbable paradoxe de ne pas passer inaperçu : « Dégaine de mec lambda, mais j’suis pas un vil-ci ». Cette authenticité, je l’avais ressenti dès ma première expérience avec L’eau Chaude et je ne l’ai de cesse de la retrouver ensuite. Véritable marque de fabrique, l’authenticité du Barz Man est aux antipodes d’un profil archétypique des rappeurs galvaudé par les effluves de la notoriété. Il leur donne un nom, les prouveurs, alors que, lui il « est pur, sans additif ». Pour être sûr que nous, auditeurs, ne nous y méprenons pas, l’authenticité ne rime pas tout le temps avec humilité. Derrière l’image de casanier, un brin réservé que H JeuneCrack cultive, se cache un charbonneur sûr de lui : « Depuis Fausse Cocaïne j’suis un vrai crack ». Une sémantique qu’il conservera jusqu’au projet collaboratif cette fois pas avec un rappeur mais avec le duo bordelais Bricksy & 3G. Le mantra ne change pas, H JeuneCrack ne change pas foncièrement non plus mais s’essaye à des styles qu’on ne lui accolait pas jusque là. La palette inépuisable des deux producteurs fait divaguer le rappeur entre des productions éclectiques dont un morceau jersey, Igloo, terrain qui peut s’avérer miné, et dieu sait que nombreux sont les rappeurs, qui par désir de se plier à la tendance, se sont cassés les dents. Heureusement, mais en réalité sans trop de surprises, nos trois bougres annihilent nos craintes et offrent encore cinq morceaux rudement efficaces dans les écouteurs mais aussi sur scène, pour avoir eu l’occasion de le voir les performer. Mené par le lumineux single Les Lois Du Karma, qui personnellement aura survécu tout l’été, Cactus Musique, un projet « Made In South » aura l’effet escompté de fidéliser un public déjà conquis et d’ouvrir de nouvelles portes. On le sent désormais, le succès n’est plus très loin et la rentrée risque d’être agitée : « C’est bientôt mon heure, je l’ai vu dans l’Almanach ».

L’année d’H JeuneCrack, vous l’aurez donc compris se résume à une productivité qui n’a de cesse de se mettre au service d’une qualité sans faille. Que ce soit derrière le micro ou derrière un ordinateur, le rappeur soustraite très peu, à l’exception de quelques morceaux ou projets collaboratifs. Il le dit d’ailleurs lui même, mieux que moi sur Vrai Crack, qu’il co-produit avec Esone : « La prod, le son le mix, je sais tout faire, j’te plante avec un couteau suisse ». Il n’est donc pas surprenant de voir son nom apparaitre dans ses crédits mais aussi dans ceux des autres, en témoigne son implication dans le mixage de Rap Mag du tout autant génial Mairo dont vous m’entendrez sans doute le nom prochainement. H JeuneCrack nous montre donc qu’il est aussi doué sur les analogies et métaphores que sur le mixage des 808 et le sampling. Au delà de la prouesse et de l’aisance décomplexées qu’il affiche, là encore le toulousain témoigne d’un appétit démesuré et d’une science qu’il maitrise parfaitement. Son rap n’est pas du fast food, malgré un rythme de sortie soutenu. Chaque élément est intelligemment manié, dosé et exploité. La texture est protéiforme et riche, ce qui permet légitiment au toulousain sur L’Eau Chaude de se considérer comme « un grand cuisinier » pourvoyeur de « Haute gastronomie ». C’est donc tout un assortiment qui lui vaut non pas encore un succès commercial, le public peut être pas encore prêt à l’extravagance du H, mais au moins un succès d’estime auprès des initiés. Un succès palpable qui lui vaudront la chance d’obtenir son propre Grünt, réservé à un groupuscule restreint de cracheurs de feu dont H JeuneCrack fait irrémédiablement parti.

3ème Cycle : Entre barz et introspection

L’histoire nous a souvent rappelé qu’il était ardu de conclure dignement une trilogie. Alors quand fut annoncé troisième cycle, dernier volet venu mettre un terme à la chronique, les attentes étaient très hautes. D’autant plus que Vrai Crack sortait en tant que single coup de poing, entre une prod minimaliste en deux parties ponctuée toujours de barz servi à la pelle. Le projet une fois sorti, a non seulement répondu à toutes mes attentes, sans trop de surprise chez moi soyons honnêtes, mais m’a surtout donné cette impression de découvrir une facette touchante alors jusque-là exploitée seulement avec parcimonie. C’est donc le chemin de l’introspection que le sudiste emprunte. Évidemment ce n’est pas la seule route qu’il arpente, égo trip lucide, barz comique et dénonciatrice sont toujours d’actualité mais la sensation d’en connaître davantage sur le flou opaque de sa personnalité, de ses passions voire de ses addictions semblent s’éclaircir, comme s’il paraissait plus à l’aise à se confier. Le tout sur un 8 titres dans lequel sa versatilité est incarnée par autant de styles que d’atmosphères. Dès pianos décharnés de Musée jusqu’aux déroutants Medley, qui lui même transite entre sonorité électro puis trap, qu’est Mr Le Prouveur, véritable terrain de jeu pour le rappeur, en passant par les productions contemplatives d’Éther ou de 3 meufs. La qualité des productions n’a d’égal que leur complexité, leur flot indescriptible de détails qui font de 3ème Cycle une véritable claque en termes de production.

Revenons désormais à ce que nous confie le vrai crack. Là encore l’authenticité est de rigueur dans un quotidien qu’il ne cherche pas à tordre, fidèle tout de même à sa propre réalité devenue l’échappatoire fondamentale pour fuir à la grisaille d’un environnement terne et monotone : « Je me réveille le ciel est gris mais je fais comme si c’est les tropiques ». C’est d’ailleurs un quotidien routinier, souvent barbant où chaque journée ressemble à la veille qui infléchit chez l’auditeur un sentiment de représentation où, les peines de coeur du H, entremêlée à ces tracas installent un certains sentiments de proximité avec l’auditeur. Pour faire simple, H JeuneCrack rappelle qu’il est possible de procurer des émotions sans passer par des foisonnements psychologiques bidons et des phrases préconçues bateaux, plus proche d’une auto-satisfaction intellectuelle que d’une réelle bonne écriture, à bon entendeur bien sûr… Des émotions c’est d’ailleurs ce que 3ème cycle procure. Jusque là réservé, le projet exhorte les passions et tourments du rappeur comme une véritable catharsis. En tant qu’auditeur assidu, je notais la force du rappeur, après une seule année et demie  de carrière ne l’oublions pas, à s’affirmer au terme d’une quête initiatique où il sera parvenu à se retrouver là où il désirait. De cette constatation peut-être tirée par les cheveux de ma part, celui qui se qualifie de mauvais dragueur semble plus à l’aise à parler de sa relation amoureuse par exemple. Une sorte d’immersion dans une intimité où le rappeur avoue son inexpérience, ne joue pas à l’habituel viriliste détaché, mais bien au contraire, il assume être traversé par une forme d’insécurité « J’suis moche mais elle trouve que je suis beau ». 

Crédit : @paul_rss

Mais faisons abstraction de la lettre d’amour que représente 3 meufs. Un autre morceau m’a particulièrement troublé puis touché tant la sincérité est tangible : L’éther. Non seulement la production évoque une nostalgie exacerbée mais surtout interpelle sur une addiction, ni la drogue ni l’argent mais l’alcool « J’aime pas le shit donc je suis pas sous shit/Par contre jsuis sous rhum,  ça déplace juste le soucis ». Un sorte d’exutoire régressif dont le rappeur a pleinement conscience qu’il en subit les conséquences malsaines : « Je sais pas pourquoi j’aime trop l’alcool alors que ça me donne envie de vomir ». Bien que l’alcool a plusieurs fois été un sujet récurrent à travers sa discographie, il le chantait notamment sur Dromadaire, mais jamais il l’exhibait autant comme une faille frelatée, comme aussi une prescription à un symptôme d’une solitude qu’il le torture constamment. Désolé de plomber l’ambiance après avoir fait l’éloge de H JeuneCrack, mais chaque artiste s’accompagne toujours de son lot d’énigmes et de soucis. Évidemment de l’égotrip il en use à foison pour délivrer une pluie diluvienne de barz, exercice de style, clairement devenu son Modus Operandi auquel il dédie même tout un son sur Mr Prouveur : « Ma plume elle pèse son poids, j’ai des tonnes de barz ». Mais pour autant, il choisit cette fois de ne pas obstruer le caractère intimiste avec 3ème cycle. La conclusion de la trilogie n’est donc pas seulement la continuité des deux premiers, où une désinvolture presque insolente était de rigueur, mais va encore plus loin prenant la voie de la confession introspective, une forme d’exutoire thérapeutique qui fait toute la force d’un artiste, d’un projet qui prend des allures qui vont au delà d’une simple fin. En achevant un chapitre de sa jeune carrière, H JeuneCrack écrit déjà le suivant. Une année 2022 qui aura été déterminante présage désormais une année 2023 d’autant plus remarquable dans laquelle on retrouvera ce le qui façonne : de l’authenticité et des barz.

(Crédit image bannière : Léna Borghesi)

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