Hyaline ? Si l’adjectif vous est inconnu, rien d’étonnant : c’est un mot français rare, désuet, prisé par les poètes et les géologues. Est hyalin ce qui a la transparence du verre ou du cristal : translucide, mais trouble, qui laisse passer la lumière sans permettre de voir à travers.
L’album de Maria BC porte bien son nom. Mélancolique et solennel, Hyaline est une fenêtre qui donne sur la psyché de Maria BC, à travers laquelle celle-ci invite l’auditeur à regarder de plus près. Une invitation qu’on saisit volontiers.
Formée au chant classique comme mezzo soprano, l’artiste a grandi dans un environnement musical marqué par la religion. Son père est joueur d’orgue à l’église de leur paroisse, elle était enfant de chœur. Les ambiances contemplatives, l’adoration, l’euphorie même qui peut naître dans ces contextes viendront influencer la jeune artiste. Depuis Devil’s Rain, son premier EP sorti à l’ hiver 2021, la native de l’Ohio propose une musique minimaliste, mélange de folk, d’indie, de post-rock et d’ambient.

Sur ce nouvel album, enregistré quasiment en do-it-yourself dans un appartement de Brooklyn, la musique de Maria BC évolue au-delà du duo voix-guitare de son premier projet. L’artiste a reçu l’aide d’ami.e.s au chant et au mixage, apportant une dimension nouvelle à son travail. Il n’est pas rare que des violons, des pianos ou des orgues enregistrés par son père dans son église viennent renforcer les compositions. Théâtraux, les instruments portent les lyrics, avec l’emphase d’une musique d’église. Hyaline a par moments des allures de messe. Hyaline est un album plus complet, mais aussi plus contemplatif, qui soigne ses ambiances. Les morceaux sont parsemés de sons de cliquetis, grincements et autres fuzzs d’amplis qui chauffent. Des sons qui tirent vers la noise, et qui contribuent à donner à vie Hyaline, et établissent une proximité avec l’auditeur.
“La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond de l’âme chercher le chagrin qui nous dévore”, écrivait Stendhal. Si son art est vecteur de ses émotions, Maria BC avoue ne pas y trouver de réconfort; tout au mieux une catharsis. Écrire, composer, chanter, tout cela relève pour elle de l’exploration de ses propres sentiments, quels qu’ils soient. L’artiste use allègrement de l’ “espace négatif” pour donner vie à ses compositions; les silences et pauses font partie intégrante de celles-ci, et viennent accentuer l’émotion.
Ce qui fut, ce qui aura pu être, ce qui sera : les fantômes sont nombreux à s’inviter, que ce soit dans les textes ou dans les sonorités. Les murmures viennent hanter chaque morceau, et les refrains n’ont parfois pas de paroles, simplement des fredonnements ou des chœurs noyés dans des réverbérations. Les coups d’orchestre coupés de Keepsakes suggèrent la musique d’un film effrayant, tandis que la voix basse sur The Big Train ressemblent à s’y méprendre à une personne sur le point de fondre en larmes ou de pousser un cri primal.
La musique et la solitude sont intimement liées dans Hyaline, qu’il s’agisse de deuil ou d’amour. La recherche de ce dernier s’invite régulièrement dans les morceaux. Sur Betelgeuse, Maria BC murmure “I can’t tell you/ If loving alone will be/ Anything that becomes.”. L’étoile, d’ailleurs, est un symbole récurrent dans l’album : brillante, solitaire, lointaine mais discernable.
La résonance de ses textes est à la fois familière et abstraite. Chaque parole véhicule cette démarche de l’artiste d’aller chercher au plus profond d’elle des émotions, peu importe leur clarté ou leur obscurité. Il se dégage des compositions de Hyaline une aura envoûtante, presque mystique. On a l’impression de plonger dans les mémoires de Maria BC. Si ses inspirations sont autobiographiques, elle ne se met que rarement au centre de ses histoires, choisissant de donner vie à des personnages pour revivre ses souvenirs. Toutefois, elle ne joue jamais sur un manichéisme, présentant les uns en victimes et les autres en bourreaux, et s’efforce de mettre en scène toutes les parties de l’âme humaine.
“It’s hard to do good with controled intentions
Honesty thrives in a broken sentence
I’m headed to heaven to take language down
Rivers dammed in their straying will carry concrete out.”
Dans Hyaline, tout s’enchaîne avec fluidité, formant un bloc sonore cohérent, relié par quelques interludes parfois directement intégrés dans les morceaux. Il sera aisé, pour les habitués du genre, de trouver des similitudes avec les ambiances froides et minimalistes de la Californienne Grouper et son slowcore, ou avec les balades désespérées du groupe du Connecticut Have A Nice Life. La musique n’est hésitante et légère qu’en apparence, et ce n’est que pour compenser la noirceur qu’elle porte. Hyaline est un premier long format réussi, entre nuages d’ambiance et échos de bruits troubles, qui tire de ce jeu d’équilibriste des moments de pure beauté sonore.
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